Tom Cox, 3ème partie: Commercialisation

Interviewed by Fil Fraser at Banff World Media Festival on Juin, 2011

Fil Fraser: Comment gagner l’intérêt des spectateurs canadiens pour des productions canadiennes?  Pour ce qui est du cinéma, nous avons fait des progrès, mais il nous en reste encore beaucoup à faire.

Tom Cox: Je suis d’accord. La télévision a maintenant l’avantage là ou des câblodistributeurs ont fait équipe avec des producteurs pour trouver des spectateurs et maintenir leur intérêt. Pour les câblodistributeurs, la motivation principale c’est de maximiser la quantité de téléspectateurs qui ont les yeux sur l’écran. On a reconnu l’importance d’aller à la quête de ces téléspectateurs, et l’on a créé les incitations nécessaires pour les garder devant l’écran. Côté cinéma, le système n’est pas encore suffisamment développé. Je ne dirais pas que nous manquons d’incitations, mais nous n’avons pas mis le même effort pour attirer les yeux des Canadiens sur les grands écrans canadiens. Il faut également assurer qu’on continue de tourner des films dont on peut faire la promotion, de sorte que le public vienne au cinéma.

F: Est-ce simplement une question de marketing?

C: Tout à fait. Et la solution c’est dans l’investissement du privé, parce cela sera le moteur du marketing. Une fois qu’il y aura des investisseurs qui auront intérêt à voir un rendement sur ce qu’ils ont investi, voire même un profit, cela produira des changements de stratégie envers notre cinéma. Cela assurera que les films soient commercialisés et promus. Téléfilm, béni soit son bon cœur, a été extraordinaire comme associé au fil des années, mais on lui a imposé une mission tout à fait schizophrène: d’un part, de protéger la culture à tout prix, et d’autre part, de réaliser un rendement sur tout investissement. Il faudrait découpler les deux objectifs, à mon avis, et soutenir des projets de nature tout à fait commerciale. Ces projets-là pourront fonder un star-system, qui pourra à son tour nourrir le système culturel. Il faudrait laisser agir les forces du marché, sans toutefois diminuer ou sacrifier nos désirs culturels.  Il faudrait libérer les deux éléments l’un de l’autre.

F: Alors tu envisages un financement à deux filières: l’une pour un Atom Egoyan, par exemple, l’autre pour un Tom Cox?

C: Non, je ne vois pas les choses tout noir ou tout blanc comme ça. Mais j’aimerais qu’on arrive à nous libérer des contraintes imposées par le système actuel, pour promouvoir un système de financement axé sur le marché. C’est essentiel que nous continuions à tourner des films qui aient une importance à la culture canadienne. Mais il faut que nous libérions l’industrie, en créant un environnement propice à l’investissement du privé. Il y aura toujours de beaux projets académiques, dignes d’un Atom Egoyan, mais ces projets pourraient être mieux financés, mieux commercialisés, mieux véhiculés. Comme ça ils trouveraient un nouveau public, et peut-être qu’ils aideront un jour à faire émerger des cinéastes inconnus jusqu’à présent.

F: Mais cela implique deux chemins de distribution différents, non? Un chemin pour les films dits ‘culturels’ et un autre chemin pour les produits d’intérêt plutôt commercial?

C: J’espère qu’il s’agira d’un seul chemin. Si on n’a qu’un seul modèle de financement de la culture, les outils de promotion seront toujours très limités, et voilà une prophétie qui se réalise. En créant un modèle de financement axé sur le marché, vous finirez par susciter l’intérêt d’un public canadien tout neuf; et ce public aura peut-être intérêt à voir d’autres films, plus petits, à budget réduit, mais qui auront en vedette des acteurs connus. Moi, par exemple, j’irais voir Sean Penn dans un film tourné sur un budget de trois fois rien, parce que Sean c’est un acteur superbe. Mais il faut d’abord que je connaisse le nom de Sean Penn. Au Canada, nous ne reconnaissons pas les mérites de nos acteurs, nos metteurs en scène, nos designers, nos cinéastes – ou nous les laissons partir pour les États-Unis, parce qu’il n’y pas de système durable ici qui les permettent de vivre.

F: Tu envisages un système où les spectateurs iront voir un film qui présente Sarah Polley – n’importe quel film.

C: Exactement. Ou un film mis en scène par Sarah Polley – c’est ce qu’elle fait ces jours-ci. C’est un débat immémorial, et je n’ai peut-être rien de nouveau à y ajouter, mais il ne faut pas le laisser mourir. Nous entrons dans une nouvelle ère qui permettra une plus grande variété de projets, et les nouvelles technologies qui apparaissent ne font que démocratiser le processus. On peut maintenant tourner un film en utilisant son cellulaire – on l’a déjà fait! Mais si on pouvait tourner un film sur cellulaire avec une star reconnaissable à l’affiche, alors là, on risque d’en faire un profit.

F: Ce qu’on ressent à Banff cette année, c’est la passion de réussir – c’est dans l’air, ce n’est qu’une question de temps.

C: Je crois que c’est inévitable. C’est que l’industrie a gagné en maturité, et les nouveaux venus sont passionnés. Je suis sidéré par la qualité du talent qui monte, et c’est un talent accompagné de savoir-faire que nous, nous n’avions pas quand nous faisions nos débuts. Les jeunes profitent également de technologies qui n’existaient pas pendant notre jeunesse. Alors c’est le bon moment de fonder une industrie nationale qui reconnaisse son propre talent et qui le promeuve. Et comme on l’a noté, nous avons beaucoup mieux fait dans la promotion de la télévisuelle que du cinéma. Il faut maintenant porter notre attention sur les films pour ne pas perdre notre temps ici.

C’est sûr que nous faisons face à des défis, mais les séances sur l’Accord des Termes de l’Échange ont été bien positives....

F: Ca m’a fiché la trouille pendant la séance d’hier quand j’ai entendu que ce sont les avocats qui en tirent le tiers des profits.

C: Nous nous débrouillerons. C’est sûr qu’il nous reste beaucoup à faire. La nouvelle administration sera probablement à son poste pendant un bon moment. Elle pourra prendre des décisions qui ne lui étaient pas possibles avant [lorsqu’elle était minoritaire]. C’est à nous d’assurer qu’elle reconnaisse notre valeur, et la mérite qu’il y a à travailler avec nous.