Rudy Buttignol – 3ème partie
Fraser. Pouvez-vous nous parler de votre époque chez TVO?
Buttignol. Cela a été une expérience extraordinaire à une époque de fortes coupes budgétaires. TV Ontario passait par un changement de régime avec Peter Herrndorf. Elle avait été une organisation incroyablement bien financée avec des quantités massives de production maison. A présent, le gouvernement faisait de fortes coupes budgétaires. Quand je suis arrivé, le personnel était en train d’être réduit 800 à 400 personnes. La subvention annuelle du gouvernement avait baissé de moitié. Nous nous sommes préparés à relever le défi, en nous disant « nous allons faire face à une concurrence accrue avec moins d’argent, il nous faut donc faire un plus grand gain d’audience. » L’audience importe beaucoup. Cela ne signifiait pas qu’il devait y avoir une plus grande audience mais nous avions besoin d’une audience appropriée à ce que nous faisions. Ainsi, si nous faisions un documentaire important sur un sujet difficile comme le génocide arménien, il n’allait pas obtenir une grande audience, mais il devait avoir un impact.
A cause du changement dans son financement, l’organisation décida de travailler avec les producteurs indépendants. Ils firent donc appel au premier Editeur Commanditaire du Canada pour démarrer ce modèle, qui avait été créé auparavant au Royaume-Uni. Ce fut en partie la chance, et en partie dû à mes liens avec la communauté indépendante. Je décidai que je pouvais y arriver. Ainsi, au lieu de produire quelques films par an, je pouvais commander des dizaines de films et aider l’industrie à avancer. Ce fut un grand changement, le passage de producteur à Diffuseur-Commanditaire. Ce fut une belle époque à TVO. Une personne avec du sens commun aurait dit, «Vous perdez la moitié de votre personnel, la moitié de votre budget, et la concurrence a triplé, qu’allez-vous faire ? » Mais au lieu de réduire nos attentes, nous les avons augmentées. Nous décidâmes de passer d’une quote-part à deux quotes-parts de l’audience.
F. C’est un hommage exceptionnel à une équipe qui a persévéré à une époque où les autres diffuseurs fermaient.
B. Nous avions l’occasion de nous repositionner. Je suis finalement devenu chef de programmation à TVO. Nous avions été un « grand » diffuseur, impliqué dans une multitude de genres, et notamment dans la programmation axée sur le mode de vie et les conseils pratiques. Je décidai que nous ne devions pas faire cela. Les émissions sur la Maison et le Jardinage réussissaient très bien, le réseau alimentaire aussi. Si le consommateur voulait ce genre de programmation, il était là. Nous devions faire des choses importantes et difficiles, que personne d’autre ne voulait faire. Il était évident que les enfants et le public en général avaient besoin d’un lieu de confiance. Où étaient les espaces publics dans cette fabuleuse sphère commerciale ? Nous ne devions pas concurrencer les réseaux commerciaux, nous devions rendre l’espace commercial meilleur. J’utiliserais comme analogie le Stanley Park, qui fait de Vancouver un endroit plus agréable à vivre et augmente la valeur des propriétés commerciales à proximité. Les promoteurs immobiliers n’aimeraient-ils pas s’approprier le Stanley Park et y construire des immeubles ? Si, absolument. Mais cela diminuerait la qualité de vie et la valeur de l’immobilier. Je considère notre espace public à la télévision de la même façon. Nous valorisons l’espace commercial. Il était facile de grandir pour nous étant donné que nous n’occupions pas une place prédominante. Nous n’avions pas à céder de territoire. Il était plus facile pour nous, en tant que diffuseur public alternatif, de dire que nous n’allions pas entrer en concurrence avec le secteur commercial. Le secteur commercial devait être notre premier supporter.
F. Regardons en avant. Si vous prenez en considération les changements technologiques apportés par Internet, de quelle manière concevez-vous la télédiffusion éducative du futur ?
B. Il nous faut être adroits. En matière de télédiffusion, nous avons mûri en acquérant BBC Kids. Côté Internet ou côté mobile, il est important que nous nous tenions au courant des technologies. L’aspect technologique est incroyablement instable. Une chose dont nous sommes sûrs concernant nos appareils mobiles, c’est qu’ils se retrouveront à la casse en Chine dans six mois. Nous ne sommes pas une entreprise technologique, je pense donc qu’il nous faut rester au courant et suivre l’industrie là où on le peut, là où cela a du sens, en utilisant les meilleures pratiques. Mais il y une chose qui ne change jamais : c’est la nature humaine.
La première valeur que nous offrons à notre audience est le fait que nous sommes un service de confiance, que nous offrions quelque chose sur la télévision conventionnelle, les téléphones intelligents, les tablettes ou quoique ce soit. Les gens viennent à nous car ils nous font confiance pour programmer dans leur seul intérêt. C’est une valeur clé et c’est la raison pour laquelle les gens viennent à nous. Cela ne changera jamais. En ce qui concerne la technologie, personne ne sait. J’ai presque tout lu ce qui a été écrit sur la déroute des marchés financiers, et cela me rappelle quelque chose que Warren Buffett a dit : « le marché est là pour vous informer, pas pour vous instruire. » Et cela s’applique à notre marché. On entend beaucoup de gens prédirent ce qui va arriver dans le domaine de la radiodiffusion. Mais le marché fera ce qu’il fera. Il vous faudra toujours mener votre propre réflexion indépendante pour donner un sens à ce qui arrive. Et cela ne changera jamais. C’est ce que je passe la majeure partie de mon temps à faire.
F. Comment situez-vous le Festival de la télévision de Banff dans tout ce que vous faites ?
B. C’est comme une famille. Vous ne souhaitez pas voir tous vos parents à des funérailles. Banff est une grande fête. C’est comme une réunion de famille à laquelle nous nous sommes tous mis d’accord d’aller une fois par an pour rattraper le temps perdu, dire bonjour et échanger des idées. Et c’est son côté nature humaine. Rien ne remplace le contact face à face. Banff est resté pertinent en constituant des panels pertinents. L’industrie a de bonnes raisons de venir. Une fois que nous arrivons ici, presque toutes les affaires qui se font arrivent entre les panels. Il s’agit principalement d’interaction humaine. Vous allez vers les gens avec qui vous souhaitez travailler. Même s’il s’agit d’une bonne proposition, si vous ne faites pas confiance en la personne, rien ne se produira. C’est une industrie basée sur les gens, sur le relationnel. Banff est un endroit formidable pour cela.
F. 32 ans et cela va toujours aussi fort….
B. C’est fantastique.