Norm Bolen – 3ème partie
Interviewed by Fil Fraser at Banff World Media Festival on Juin, 2011
Fraser. Nous avons parlé de l’environnement régulateur et de la manière de le changer. Cela semble comme un jeu de rattrapage. Comment protéger les créateurs du contenu?
Bolen. Il y a des thèmes-clés dans notre message, qui ne changent pas, mais leur application le pourrait. Je considère la loi sur la radiodiffusion comme un document bien éclairé. Elle a été modifiée en 1991, mais c’est un document éclairé. Le premier jour de mon travail à l’Association des producteurs, j’ai lu la loi sur la radiodiffusion pour me rafraîchir la mémoire. Elle dit que toute la raison d’avoir un système de radiotélévision au Canada est de garantir que nous ayons un contenu canadien. Elle enchâsse le rôle du producteur indépendant, en déclarant son importance; et elle reconnaît que les producteurs indépendants apportent une diversité d’idées, de géographie et de créativité.
Si ce qu’on appelle le marché libre devait régir la Loi sur la radiodiffusion, qui sait jusqu’où nous irions. La seule valeur d’importance serait le tout-puissant dollar et combien on pourrait en tirer du consommateur. Les corporations ne se soucient pas beaucoup de la souveraineté culturelle, du contenu canadien ni des producteurs indépendants, sauf s’ils y sont obligés en vertu de la loi. Ce qui les intéresse, c’est de servir leurs actionnaires et le moyen le plus facile c’est d’acheter la programmation canadienne, de la vendre à une grande marge de profit, acheter plus de programmation américaine, et recommencer.
Ainsi, les législateurs éclairés qui ont créé la Loi sur la radiodiffusion ont vu que nous vivons dans un pays situé près d’une centrale culturelle, un géant qui a un très vaste marché là où nous sommes insignifiants. Ils ont une économie d’échelle que nous n’avons pas et ils ont une approche très expansionniste vers le monde des produits de divertissement. Nous savions que nous devions protéger nos propres histoires, notre propre industrie et nous avons établi des mécanismes. Il se peut que les mécanismes aient besoin de changer et d’évoluer. Nous le reconnaissons. Cependant le principe fondamental selon lequel le système concerne le contenu canadien, ne changera jamais.
Je dois rappeler aux gens que si nous perdons cela de vue, si nous nous ouvrons complètement au nom de la flexibilité, de l’innovation et de l’investissement, nous nous écartelons; nous finirons avec un système qui n’existe plus. Pensez à la logique de ceci. Si nous devenons de plus en plus dépendants du contenu américain dans la programmation de la radiotélévision, en même temps ces services OTT commencent à hausser les prix, en accaparant les droits et en empêchant les producteurs de les obtenir ce qui aboutit à de moins d’importance pour le contenu canadien. Finalement, quel est votre modèle d’entreprise? Qu’est-ce qui vous différentie des Américains? Laissez seulement ABC, NBC et CBS venir et faire leur travail.
Si vous ne vous différentiez pas, vous n’avez pas de raison d’exister. Voilà pourquoi ces règles perpétuent la survivance des radiodiffuseurs. Elles créent une raison de les avoir. Quand j’entends des notions ridicules comme «Laissons le marché agir» je demande aux gens si le consommateur a été bien servi par le marché aux États-Unis ces quelques dernières années. Et cela était un marché règlementé! Pas trop. Maintenant, seulement quelques années plus tard, nous entendons aux États-Unis de nouveau: «Laissons le marché règlementer.» Il y a ici des parallèles.
Certains pensent que nous devrions combiner la Loi sur la radiodiffusion et la Loi sur la télécommunication. Je pense que le jury se retire là-dessus. Cela pourrait amener à glisser davantage vers l’appropriation de l’étranger dans le secteur. Cela m’inquiète. Mon propre personnel, qui est composé d’experts sur la Loi sur la radiodiffusion, me met en garde. Nous nous demandons quelles sortes de changements sont nécessaires; mais la Loi sur la radiodiffusion, sous sa forme actuelle, est en elle-même très large, flexible, et accorde un important soutien à la production indépendante. Le danger est que si vous créez une nouvelle loi sur la radiodiffusion pour l’adapter à l’environnement changeant, vous réduisez le rôle du contenu canadien et le rôle du secteur de la production indépendante, et vous diminuez certains des autres principes au nom de la modernité, et ainsi vous endommagez le système. Nous nous engageons avec le gouvernement, parlons avec le régulateur, nous reconnaissons le besoin de moderniser, mais s’il est nécessaire d’avoir une nouvelle Loi sur la radiodiffusion, là n’est pas la question fondamentale.
F. Qu’en est-il des problèmes de distribution et de marketing avec le film canadien?
B. Il y a des tas de problèmes et de défis avec le film canadien. Le marketing en est un, sans aucun doute. Cependant certains des films qui ont eu un grand budget de marketing ont eu aussi des problèmes. Par exemple, Barney’s Version aurait pu mieux faire. C’était un bon film. Il y a beaucoup de questions. Le gouvernement est en train en ce moment de revoir sa politique des films de long métrage. Il examine quels sont les indicateurs de réussite pour les longs métrages et à l’idée de ne pas se limiter seulement à la mesure courante, qui est de compter la recette.
Il y a un plus grand public pour le film canadien maintenant, radiodiffusé et en ligne, que dans les salles de spectacle, malheureusement. Nous avons rencontré hier le Conseil de la radiotélévision et des télécommunications canadiennes, avec l’Association canadienne des distributeurs de films, pour discuter des problèmes. Il y a quelques terribles ironies dans le système. Les diffuseurs passent maintenant plus d’heures de leurs horaires pour les longs métrages qu’auparavant. En même temps, ils accordent de moins en moins d’argent dans la production de nouveaux longs métrages. La vaste quantité d’activités cinématographiques de leurs horaires est faite de répétitions et de vieux titres dans leurs inventaires. Ils ne prévoient plus de films en réalité après avoir eu leur représentation théâtrale.
En moyenne, environ 5% du financement d’un film canadien vient des radiodiffuseurs. Sachant que cela se produirait, les distributeurs ont toujours su que les radiodiffuseurs acquerraient les droits pour un certain prix, ils pouvaient compter là-dessus, et pouvaient l’utiliser comme une partie de leur stratégie de gestion des risques, Ils pouvaient ensuite faire une avance au réalisateur pour faire le film. Les distributeurs ne peuvent plus maintenant compter sur cet argent des radiodiffuseurs. Il a tari jusqu’à la dernière goutte. En conséquence, les avances destinées à la production sont devenues plus petites et les longs métrages font face à une crise de financement. Les budgets deviennent en conséquence de plus en plus petits. Ce dont nous avons besoin maintenant ce sont de plus gros budgets, non de plus petits.