Norm Bolen – 2ème partie
Interviewed by Fil Fraser at Banff World Media Festival on Juin, 2011
Fraser. Les petits producteurs indépendants sont presque devenus une espèce en voie d’extinction. On dirait qu’il y a de moins en moins d’acheteurs du produit.
Bolen. Nous percevons définitivement des tendances à la consolidation dans le secteur de la production. Déjà des sociétés entrent en partenariat de production, ce qui se traduit en partage de bureau et de ressources administratives. Certaines sociétés fusionnent finalement et se consolident. C’est une réaction naturelle à ce dont vous parliez: l’intégration verticale des acheteurs. Il est de plus en plus difficile pour les joueurs moins importants de survivre avec un projet tous les deux ou trois ans. C’était habituellement une toute petite entreprise, ou un passe-temps pour certains producteurs. Ils s’occupaient d’un ou deux projets préférés et y travaillaient pendant plusieurs années. Ils vivaient très modestement; il est clair qu’ils ne gagnaient pas beaucoup d’argent avec ça.
Maintenant, il est presque impossible de vivre comme ça. Ce n’est pas parce qu’il y a moins d’acheteurs. Les acheteurs ont aussi moins envie de prendre des risques. Quand j’ai lancé History et que nous faisions Showcase comme nouvelles chaînes, nous avons lancé un appel sur le marché et avons reçu des tas d’idées innovatrices de la part de gens qui venaient d’entrer dans l’industrie. C’étaient des nouveaux venus. Nous avons tenté notre chance. Mais maintenant, nous n’avons pas beaucoup de nouveaux services de lancement, du moins ceux qui commissionnent la programmation. Les services ont pris de la maturité; ils avaient eu une longue histoire avec certains producteurs, et ont tendance à revenir chez les producteurs avec lesquels ils ont établi de bonnes relations de travail. Il est plus difficile pour quelqu’un de petit de faire approuver son idée, et même de la produire et de faire face à toutes les obligations administratives et contractuelles.
F. Est-ce que la technologie qui est disponible aux petits producteurs a un peu déplacé ces limites?
B. Les jeunes qui s’intéressent au film voient le monde différemment. Ils voient les gros budgets, une technologie complexe, une foule de gens qui jouent différents rôles dans le travail de production, les syndicats de production… tout cela comme non nécessaire et compliqué. Mon fils, par exemple, étudie le cinéma. Des tas de jeunes de son âge ne s’occupent qu’à faire des films. Ils achètent une caméra DSLR pour quelques milliers de dollars, quelques objectifs de prise de vue dans des boutiques de prêt sur gages et quelques adapteurs. Ils vont façonner des systèmes audio, opérer manuellement, et ils vont produire un film remarquable qui aura une chance sur le marché. Ils auront une chaîne à YouTube. Ils feront affaire avec Google ou trouveront d’autres chaînes. Ils commencent leurs propres réseaux de distribution. Ils pratiquent l’externalisation ouverte pour le financement.
J’ai parlé hier avec un jeune cinéaste. Il fait de la post-production sur un film de quelques valeurs de production. Je lui ai demandé: «Quel est votre budget?» Il a dit : «$15 000 en espèces.» Dans une production normale, $15 000 payent probablement pour les diathèques, pour les promotions ou pour dîner! Il y a des innovateurs ici, de jeunes cinéastes qui travaillent avec le minimum de ressources. Bien sûr, ils grandiront en cinéastes travaillant dans le système. Mais je pense que les coûts diminueront et que les complications se réduiront.
F. Ya-t-il de la place pour eux au CMPA?
B. Bien sûr. Une partie de notre stratégie pour les prochaines années est d’élargir nos effectifs au-delà de nos joueurs traditionnels et dans le monde numérique. Nous sommes en train de mettre au point une stratégie ambitieuse pour les amener à ce qui présente pour eux certains avantages. Nous offrons un rabais aux producteurs de premier projet pour que cela leur soit plus abordable; ils peuvent joindre l’organisation sans dépenser beaucoup d’argent. Et nous les adoptons. Nous trouvons que beaucoup plus de personnes s’intéressent à ce que nous faisons.
L’autre courant important est ce que le Canadian Media Fund a fait. Il y a quelques années, le ministre Moore a présenté un mandat à CMF venant de Patrimoine Canada, en disant: «Vous devez vous concentrer davantage sur le contenu numérique et le contenu convergent.» C’était un mariage forcé, disant, «Si les producteurs numériques et traditionnels doivent travailler ensemble, ils auront accès à certaines parts du financement. Si ils ne le font pas, ils n’auront pas accès à certaines parts du financement.»
Au début cela a été un défi pour tout le monde, parce que c’était une idée foncièrement nouvelle. Les gens ont pensé que le ciel leur tombait sur la tête. Mais nous nous sommes adaptés. Nous avons fait notre chemin en trébuchant, et nous voyons certains résultats: beaucoup d’innovation et de partenariats. Nous avons eu des questions de financement sur la manière dont cela pouvait marcher. Mais nous sommes aussi en train d’en résoudre quelques-unes. Les téléastes commencent à adopter cette idée. Alors c’est vraiment intéressant de voir que nous évoluons. Nous ne pouvons pas continuer seulement à travailler comme nous l’avons toujours fait. Ce n’est pas mon point de vue ni celui de mon organisation. Nous devons changer la manière de mener nos entreprises.
F. D’un côté, vous avez place des joueurs qui deviennent de plus en plus grands; de l’autre côté de plus petits joueurs qui sont innovateurs.
B. Cela permet de bons débats et beaucoup d’enrichissement mutuel. Il y a aussi un danger de conflit potentiel, soyons honnêtes. Un de mes buts absolus et de garder l’unité dans notre Association de producteurs; nous devons nous traiter les uns les autres avec respect. L’un de nos avantages est que nous ne dépendons pas uniquement de nos cotisations; 80% de nos revenus viennent des précomptes de production parce que nous négocions et administrons tous les contrats collectifs pour le compte des producteurs. Un petit pourcentage des coûts de main d’œuvre de ces productions nous revient. Cela nous donne un budget de services administratifs, bien que nous obtenions une partie de notre argent des cotisations. L’un de nos défis est que la plupart de l’argent que nous obtenons provient d’un nombre relativement petit de producteurs. Chaque société de production de l’organisation a la même voix; mais 80% du revenu provient de 15 à 20 % des cotisations. Mais les plus importants joueurs de l’industrie comprennent qu’il y va de leur intérêt d’assurer que les plus jeunes joueurs, les plus nouveaux soient amenés dans notre système. Ils savent qu’ils ne peuvent pas développer ni soutenir durablement leurs entreprises sans une injection de nouveaux talents.
Il est cependant de plus en plus difficile de trouver des jeunes à amener. C’est un milieu très compétitif. J’ai parlé hier à un jeune consultant qui travaille en production numérique; une de ses tâches consiste à aider les sociétés numériques à trouver des employés. L’industrie numérique est plus grande que celle du film et de la télévision; ce n’est pas seulement l’industrie du jeu, mais les corporations. Tout est en train de se transformer en numérique. Et chaque organisation a besoin de quelqu’un qui comprenne le média social. Les jeunes sortant de l’école, qui ont ces compétences sont très demandés. Seulement un petit pourcentage d’entre eux se dirige vers notre industrie. Ils voient des opportunités plus intéressantes dans les industries plus innovatrices et plus modernes, avec des modèles différents.
Ainsi, nous devons soutenir ces jeunes dans leurs activités et les amener dans l’industrie, sinon, nous allons périr. Nous ne pouvons pas nous perpétuer sans nouveau sang. Regardez ce congrès ou nous nous trouvons; le nombre de jeunes a grandi exponentiellement parce que nous avons fait fusionner la télévision, le film et le nouveau média. J’ai toujours dit nouveau média, mais je ne sais jamais comment l’appeler. Il n’est pas nouveau. Il est en ligne, média numérique, mais c’est un trans-média. C’est difficile de trouver le bon terme. Il est en transformation perpétuelle. Banff est une bonne réflexion de l’état de changement de l’industrie. Il y a un grand nombre de jeunes gens avec des ensembles de compétences différents de ceux que nous avions l’habitude de voir. Il y a une approche plus informelle à tout le congrès en reconnaissance de l’ensemble des jeunes. Beaucoup de conversations sont bien différentes de l’ordinaire. Elles portent toutes sur la manière dont nous travaillons ensemble, sur l’adaptation à ce nouvel environnement, et les changements au milieu règlementaire. Très intéressant.