Michael Spencer, 3ème partie:SADC luttes avec les distributeurs

Interviewed by Fil Fraser at Montréal on Juillet, 2010

Fraser. On a parlé des correspondants de guerre canadiens. Quelqu’un parlait tout récemment de faire un film ou un documentaire sur ces correspondants de guerre. On en avait de très bons… le genre de vie qu’ils menaient, ce qu’ils ont apporté, parce que c’est l’époque où le Canada est devenu un pays mûr, quand nous avons finalement commencé à nous libérer des chaines de l’impériale Grande-Bretagne… Dieu protège le roi et tout ce qui va avec. C’est à ce moment-là que le Canada s’est mis à s’affirmer comme un vrai pays. Je crois deviner que là était l’un des plus importants mandats de l’Office national du film, l’invention du Canada, je suppose.

S. Il a en tout cas accompli beaucoup de choses. L’Office national du film, de par sa création et jusque vers les années 1960 environ, a été l’un des plus importants intervenants dans l’unité nationale, dans le pays dans son ensemble, surtout parce qu’il disposait de ces films qui étaient projetés en salle. Quand on allait au cinéma au Canada, on voyait d’abord un court-métrage, vraiment bon, produit par l’Office national du film, à chaque fois. Et le court-métrage parlait du Canada. C’était là le but et cela marchait bien.

Il y a eu un tournant, je me rappelle, quand Arthur Irwin était commissaire à la cinématographie, ce qui devait être juste après la guerre, je crois. On avait soulevé la possibilité que l’Office du film joue un rôle important dans la CBC, ou qu’il y soit rattaché d’une façon ou d’une autre. L’idée, c’était que l’ONF produise des films et que la CBC les projette.

F. Cette idée, cela faisait longtemps qu’elle était dans l’air, qu’on y pensait, et elle est toujours présente.

S. Oui. À l’époque, c’était la CBC qui dirigeait les opérations et la seule chose que nous pouvions faire, c’était de suggérer que nous pouvions intervenir. Il y avait vraiment de très bons films, de bons documentaires qui auraient pu être projetés à la télévision. Je me souviens que c’était Grant McLean qui avait l’habitude de les tourner. En fait, je crois que nous avions une heure sur les ondes de la CBC, qui devait être une émission du type « L’Office national du film présente… »

F. Oui, c’était « L’ONF présente… »

S. Oui, mais on n’a jamais réussi à faire en sorte que cela continue. Ou alors ils….

F. Qui étaient les personnes à l’ONF à cette époque?

S. Je pense tout de suite à Donald Brittain par exemple. J’ai beaucoup socialisé avec lui, je l’aimais beaucoup. Lui et moi, on s’entendait très bien.

F. Un de nos grands réalisateurs.

S. Et puis, il y avait Jim Beveridge, Norman McLaren bien sûr et Guy Glover, son ami. Vous vous rappelez toutes ces personnes, Fil.

F. Je suis un petit peu plus jeune, mais j’ai croisé le chemin de nombre d’entre eux. Aviez-vous le sentiment à l’époque que vous étiez des pionniers, que vous accomplissiez de nouvelles choses, que vous pénétriez dans un domaine inexploré?

S. En fait, pas vraiment du côté administratif. Mais Stuart Legge et Tom Daly, Ron Weyman produisaient les nouvelles brèves qui étaient projetées dans les salles de cinéma. Ces brèves étaient très importantes. Norman s’occupait de ses affaires au bureau de l’animation, cela allait bien. Et Colon Low et les autres faisaient leur travail et cela allait bien aussi. Je ne pense pas que le côté administratif de l’Office national du film les impressionnait beaucoup.

F. Ce côté, c’était vous!

S. Je vais vous expliquer ce qui s’est passé. Il y avait un directeur de la planification et un directeur de la production anglaise. Donald Mulholland était le directeur de la planification, Grant McLean était le directeur de la production anglaise et Pierre Juneau, lui, était directeur de la production en français. Quand Guy Roberge est arrivé, c’était comme ça.

Tout à coup, à ce moment-là, Don Mulholland décède. On a dû donc tout réorganiser. Et on m’a choisi pour être directeur de la planification. Chaque unité devait avoir un plan qui expliquait comment elle avait l’intention de dépenser l’argent qui lui avait été octroyé et quels films elle allait produire. Mais toutes les suggestions du directeur de la planification quant à savoir quels films devraient être produits, ces suggestions-là étaient automatiquement rejetées dans l’esprit de tous les réalisateurs. Donc, l’idée d’une planification par le directeur de la planification est tombée à l’eau. Il y a donc eu une année où je n’avais strictement rien à faire. Quand Guy Roberge est arrivé, cela a été une époque un peu plus heureuse, il a dit qu’il était temps de faire des longs métrages. Il m’a donc dit d’aller de l’avant et de faire des longs métrages.

Lui et moi sommes allés à Ottawa et nous avons essayé de comprendre l’aspect juridique de notre entreprise; nous avons élaboré la règlementation, nous avons formé des comités avec des membres du ministère des Finances, du ministère des Échanges et du Commerce, etc. On s’y est pris quatre fois. Et on a produit une quantité de papier inimaginable, incroyable, Fil. Des montagnes de papier! Au début, Guy m’avait dit : « Pourquoi ne prépares-tu pas une note de service expliquant ce que nous sommes en train de faire, pourquoi nous avons besoin de longs métrages, etc. » C’est ce que j’ai fait, ma note de service tenait sur une page et demie, deux pages.

F. Ce document existe-t-il encore?

S. Je me le demande. Je parie qu’il a été versé aux documents de Téléfilm. C’est donc ce document qui a été transmis à Jack Pickersgill qui était le ministre dont nous dépendions. Pickersgill a écrit dans la marge du document : « Bonne idée. Formons un comité. » Vous comprenez, ce qui était bien à ce moment-là, c’est que je n’avais rien d’autre à faire. Je me suis donc amusé à lancer ce processus.
Le comité a donc travaillé pendant un an et a envoyé un rapport intermédiaire. Le gouvernement a dit : « Cela a l’air très intéressant. Continuez. » Nous rencontrions des gens comme Sir John Terry de la National Film Finance Corporation, des gens en France. Nous avons fini par comprendre tout le processus de l’aide publique à l’industrie cinématographique.

Nous avions donc ces rames de papier, n’est-ce pas? En fin de compte, je suis allé au bureau du Conseil privé avec tous les documents d’appui et je me souviens que Michael Pittfield m’a dit : « Vous ne pensez tout de même pas que les ministres vont lire tous ces documents? » J’ai donc élagué les documents et j’ai obtenu un document qui faisait 25 pages. J’ai alors reçu une note me disant : « Trop long! » J’ai encore coupé pour arriver plus ou moins à ce que j’avais au départ, à savoir une note de service.

F. J’aimerais tellement lire ce document.

S. Quand j’écrivais mon livre, je l’ai cherché, mais je ne l’ai pas trouvé. Cela était un document de l’ONF, pas de la SDICC.

F. Cela a dû être le premier document qui marque la décision du Canada de faire des longs métrages.

S. Il est probablement dans les archives de l’Office du film.

F. On devrait pouvoir en retrouver la trace. Parlez-moi donc de Judy LaMarsh.

S. Je ne travaillais pas de très près avec elle, je travaillais surtout avec Ernie Steele, qui était le ministre adjoint. On a éventuellement appris que toute cette histoire de longs métrages ne l’intéressait pas vraiment. Il faut se rappeler, nous sommes en 1966. C’est à ce moment-là que nous avons véritablement lancé les choses. Nous avions obtenu l’accord du Canada, mais ce qui était devenu important, c’était qu’il nous fallait maintenant mettre sur pied une société et il nous fallait nommer quatre ou cinq personnes. J’ai donc poussé Ernie et lui a poussé Judy. Elle a dit que toute cette histoire ne l’intéressait pas vraiment, et pourquoi ne patientions-nous pas jusqu’après 1967? (Le centenaire du Canada).

Finalement, en 1968 (Ernie est celui qui en saurait beaucoup à ce sujet), elle a dit : « D'accord » et elle a nommé Georges-Émile Lapalme au poste de président. Je pense qu’on l’avait choisi parce qu’il insistait auprès du gouvernement pour être nommé à un poste culturel, autrement dit, ambassadeur à Paris, n’est-ce pas? Vous comprenez donc qu’il était un peu fâché. Je pense que c’est la raison pour laquelle on m’a demandé d’accepter ce poste. Ernie a dit : « Je t’envoie une note de service. » Il y avait cet autre homme, un Anglais du bureau d’Ernie qui m’a dit : « Vous êtes capable. » J’ai donc dû aller voir Mr Lapalme (en fait, nous sommes devenus de très bons amis par la suite). C’est quand je suis allé le voir que j’ai compris qu’il avait espéré être nommé ambassadeur à Paris et tout ce qu’il avait obtenu, c’était d’avoir été nommé président de la Société de développement de l’industrie cinématographique, un poste que vous-même avez occupé à une certaine période.