Michael Spencer, 1re partie: Formant la SADC

Interviewed by Fil Fraser at Montréal on Juillet, 2010

(Entrevue avec Michael Spencer, premier directeur de la Société de développement de l’industrie cinématographique canadienne (SDICC), l’organisme qui a précédé Téléfilm Canada).

Fraser. J’aimerais que vous reconstituiez le contexte au Canada, celui dans lequel l’idée de Société de développement de l’industrie cinématographique canadienne (SDICC) est apparue pour la première fois en 1967.

Spencer. Quand l’idée de la SDICC est apparue pour la première fois, tout le monde se disait que la production de longs métrages en anglais était quelque chose que seulement quelques réalisateurs voulaient vraiment faire. Le public dans son ensemble ne s’y intéressait pas outre mesure. Vous comprenez, à cette époque, les chaines de salles de cinéma américaines étaient déjà arrivées au Canada et elles dominaient vraiment le paysage. Il ne fait aucun doute que même si les salles de cinéma appartenaient, en général, à des Canadiens, ces salles étaient là pour faire des gains. Et la façon de gagner de l’argent, c’était d’importer des films américains. En fait, les exploitants et les distributeurs ne se sont jamais dit que ce serait vraiment bien d’avoir des films canadiens au milieu de tous les films projetés parce que le public canadien était très content de ce qu’ils voyaient sur les écrans. La domination de l’industrie cinématographique américaine était à son maximum, elle avait commencé à Los Angeles, vers 1910, et elle n’avait jamais vraiment faibli. Donc, en termes généraux, ce n’est que quand les créateurs qui voulaient tourner des films sont arrivés qu’on a commencé à se dire que ce serait peut-être bien de faire nos propres films.

Fraser. Cela faisait quelques années qu’il y avait l’Office national du film (ONF). Nous en étions très fiers. C’étaient d’excellents cinéastes documentaristes. Comme vous le dites, les Canadiens tournant de vrais films n’étaient pas vraiment au cœur des préoccupations politiques. Ce que j’essaie de comprendre, c’est : qu’est-ce qui a changé? Qu’est-ce qui s’est produit d’un point de vue politique, économique ou culturel qui a amené les gens à penser qu’un organisme comme la SDICC, c’était une bonne idée?

S. Je pense que la véritable raison de la création de la SDICC est venue du Québec. Ce que je viens juste de dire ne s’applique pas aux Québécois. Chaque année, il y avait des films québécois qui étaient produits, environ un par an  et le public québécois appuyait cela. En fait, les deux industries existaient côte à côte. Selon moi, ce qui a fait en sorte que tout a commencé à bouger et que le processus a été lancé, c’est que finalement, on a nommé à l’ONF un commissaire du gouvernement à la cinématographie canadien-français. Je pense que les relations sociales, les conversations et les réceptions, etc., ont beaucoup de poids et quand des gens comme Michel Brault commencent à parler à Guy Roberge (le nouveau commissaire à la cinématographie), les choses commencent à bouger. Si, au contraire, Michel Brault avait parlé à Albert Trueman (le prédécesseur de Guy Roberge) ou à Arthur Irwin (le prédécesseur de Trueman), il n’aurait rien obtenu de plus qu’un simple « Comment allez-vous? ». Mais quand on avait un Michel Brault et un Claude Fournier, des gens comme eux, qui parlaient à un concitoyen québécois, la conversation finissait par : « Oui, lançons-nous », je dirais que c’est comme ça que tout a commencé.

F. Bien sûr, au Québec, à l’époque, on avait suffisamment d’expérience dans le domaine de la narration à la télévision, il y avait de nombreuses séries télévisées qui connaissaient beaucoup de succès. Il y avait donc une assise de gens qui savaient comment faire des films, des longs métrages.

S. Oui,  mais en fait, ils étaient à Ottawa. L’Office du film était à Ottawa à l’époque et un bon nombre de Franco-canadiens sont allés à Ottawa, comme Roger Blais. Ils voulaient faire des films et Ottawa était le lieu où il fallait aller pour les faire. Il y en avait toutefois beaucoup qui voulaient rester au Québec et qui voulaient faire des films au Québec parce que c’était là que se trouvait le public. De plus, comme vous l’avez dit, la télévision a fait la différence. Donc, à ce moment précis, nous sommes vers 1965 je crois, après l’arrivée de Roberge, nous nous sommes vraiment demandé comment nous allions y parvenir. Et cela a commencé très lentement, et je décris tout cela dans mon célèbre livre, Hollywood North (rires).

F. Comment avez-vous été mêlé à tout cela?

S. Quand j’y repense, je me dis que j’ai eu beaucoup de chance. Il y avait quatre bureaux à l’ONF si je me souviens bien; trois de ces bureaux faisaient des films financés par l’Office national du film; le quatrième bureau était réservé aux ministères du gouvernement. Grierson avait été très intelligent quand il avait rédigé la Loi nationale sur le film, il avait rédigé un article qui stipulait que tous les films des ministères du gouvernement devaient être réalisés par l’Office national du film. Ce qui permettait à l’Office d’obtenir de l’argent d’autres sources, comme le ministère du Travail et le ministère des Pêches. Si ces ministères voulaient que des films soient tournés, ils devaient les payer. Cela a constitué une partie très importante des revenus de l’Office du film, environ un quart des revenus, dans le cadre d’une production à plein régime. Et d’une certaine façon, je me suis retrouvé responsable de ce secteur. Je pensais que je valais mieux que ça, mais tel était l’emploi et on me l’a offert.

F. À cette époque, quelle était votre formation en cinéma?

S. Ma formation de réalisateur… Quand j’étais enfant, je possédais une caméra Pathé 9,5 mm. Mes parents me l’avaient offerte et je me souviens que j’ennuyais les membres de ma famille élargie parce que je leur montrais des films qui les mettaient en scène. Puis, nous sommes tous allés en vacances d’été à un endroit où vivaient des amis de mes parents. Il y avait cet homme qui s’appelait White. C’était un ingénieur. Je crois que c’est lui qui a eu l’idée du port de Mulberry qui a sauvé les Anglais quand ils ont essayé de faire débarquer leurs troupes en Europe. Ils avaient besoin d’un port et cet homme était celui qui l’avait inventé. Bref, il avait aussi une caméra 9,5 mm et il m’a dit : « Pourquoi est-ce qu’on ne réunirait pas tous nos amis et tous les membres de nos familles et on pourrait faire un film? » J’ai donc pris part à ce projet qui me fascinait.

F. Quel âge aviez-vous à l’époque? Étiez-vous encore enfant?

S. Je devais avoir environ 18 ans, un peu moins peut-être. J’avais toujours adoré le cinéma depuis que j’étais tout petit. J’allais au cinéma quand j’étais jeune, j’allais voir des films comme La Ruée vers l’or de Charlie Chaplin. Ma mère avait l’habitude de m’emmener au cinéma. Peut-être qu’il y avait un terrain génétique qui intervenait, que je ne reconnais pas. À l’école, j’aimais regarder les oiseaux, mais mon père a insisté pour que je devienne avocat. C’est donc ce que j’ai fait, mais la guerre a été déclarée. Bref, quand je suis arrivé au Canada par accident en 1939, je ne pouvais pas retourner en Angleterre en raison de la guerre.

F. Quel était cet accident?

S. La guerre. J’étais venu en Amérique passer des vacances. J’avais fait une année de droit à Oxford. Je suis donc venu ici, je visitais la côte ouest où résidaient mon oncle et ma tante quand la guerre a été déclarée. Je ne pouvais donc pas retourner chez moi. Je suis retourné à New York, c’était là que s’arrêtait mon billet, j’ai travaillé au magasin de mon cousin pendant un certain temps. Puis je suis allé au Musée d’art moderne, il y avait une salle réservée au cinéma, on m’a permis de rester là. On ne me payait pas, mais on me permettait de trainer là.

Quand j’étais à New York, j’ai appris que John Grierson était parti au Canada. J’ai donc sauté dans le premier autobus et je suis allé au Canada. Je lui ai demandé une entrevue qu’il m’a tout de suite accordée. Je lui ai demandé s’il pouvait m’engager. Il m’a dit qu’il ne pouvait vraiment pas m’engager parce qu’il était directeur de l’Office du film. Il m’a dit qu’il y avait un autre organisme qui s’appelait le Canadian Government Motion Picture Bureau qui embauchait. Il m’a envoyé rencontrer le responsable de ce bureau qui m’a dit : « Je n’accepte plus les jeunes punks de Grierson ». Je suis donc retourné voir Grierson et je lui ai dit que cela n’avait pas marché. Il a ri et il a dit : « Bien, je viens juste de signer un contrat avec Budge Crawley pour qu’il tourne un film sur l’Islande dans les Prairies. Téléphone-lui et dis-lui qu’il a un nouvel assistant-caméraman. » C’est ce que j’ai fait. J’apprenais tout le temps, le travail du montage, la façon dont on pouvait mettre des bouts de film ensemble, me fascinait.