Kevin Shea, 1re partie: OMPDC

Interviewed by Fil Fraser at Banff World Media Festival on Juin, 2011

Je m’appelle Kevin Shea, je suis actuellement président de la SODIMO [Société de développement de l’industrie des médias de l’Ontario]. Je siège aux conseils d’administration de quelques sociétés publiques et privées, cotées en bourse. J’ai grandi dans le monde du spectacle et il n’a jamais cessé de m’intéresser et de me fasciner. Et j’aime par-dessus tout la composante canadienne de ce monde du divertissement.

Fraser. Vous avez été, pendant 25 à 30 ans, à un moment ou à un autre, tantôt diffuseur tantôt producteur, et ce, à tous les niveaux.

Shay. Oui, j’ai eu beaucoup de chance. J’ai commencé ma carrière à Rogers, mais la plus grande partie du temps que j’ai passé avec Rogers, je l’ai passé aux États-Unis dans les années 1980, à l’époque où les réseaux câblés et les réseaux spécialisés venaient à peine d’être lancés. J’ai essayé plusieurs fois de lancer une chaine pour les enfants et en 1988, nous avons réussi à obtenir une licence et à lancer YTV, qui a été l’un des premiers réseaux programmés à obtenir une licence à titre de réseau câblé. J’ai été à la tête de cette chaine pendant 7 ans et par la suite, j’ai eu de nombreuses occasions de travailler avec des réseaux.

F. Parlez-nous du rôle du programme de financement de l’Ontario dans le cadre des développements au niveau fédéral et comparez ce programme avec ce qui se fait au Québec.

S. Quand on m’a proposé de diriger la SODIMO, je n’avais travaillé que du côté de la diffusion. J’avais touché un peu à la production, mais je n’avais jamais été véritablement un producteur. La SODIMO est un organisme unique en ce sens qu’il n’est pas seulement axé sur le cinéma et la télévision. Il s’occupe d’édition de livres et de magazines, de médias interactifs, de musique, tout ce qui, aujourd’hui, publie un contenu numérique. Pour moi, la constante, c’est que l’accès aux investissements en actions dans les entreprises canadiennes du divertissement et des médias numériques reste toujours la composante qui manque pour réussir. Les banques financeront les entreprises de câblodistribution et de télécommunications au Canada, mais elles sont encore réticentes à investir dans quoi que ce soit qui ressemble à un contenu numérique ou qui est relié au divertissement. Et, même si nous, à la SODIMO, avons réussi à convaincre le gouvernement de l’Ontario à créer de nouveaux fonds destinés aux investissements, nous continuons encore, à la fois à l’échelle nationale et à l’échelle provinciale, de financer des projets et non des entreprises.

Si jamais on cherchait un exemple qui démontre que l’âge numérique offre des occasions prometteuses d’investissement, tout ce qu’il faut faire, c’est regarder les grosses pointures du type Google, Yahoo et YouTube, tous ces services qui auraient pu être lancés au Canada s’il y avait eu suffisamment d’argent.

D’une façon ou d’une autre, nous devons convaincre une association publique- privée de prendre part, idéalement, à une forme de partenariat pour mettre sur pied des fonds d’investissement importants et investir dans des entreprises et non dans des projets. Au cours de 4 à 5 prochaines années, on va assister à une énorme explosion d’occasions en or en termes de contenu et de distribution numériques. Nous sommes un pays intelligent et bilingue; en fait, en raison de notre population multiethnique en plein essor, nous sommes un pays multilingue et nous possédons des tonnes de ressources humaines et un système éducatif phénoménal, mais il nous manque encore des investissements concrets pour appuyer nos entreprises.

F. Une partie du problème s’explique par le fait que, lorsqu’on essaie de recueillir de l’argent pour des produits récréatifs, nous ne faisons en réalité que vendre des rêves. Dans d’autres pays, on a compris cela. Pouvez-vous parler de la situation au Québec?

S. Le Québec a toujours été plus avancé, surtout en termes d’investissements. Pour le Québec, cela a toujours relevé d’une nécessité culturelle qui lui est propre. Si le Québec n’investissait pas dans des entreprises francophones, il n’y aurait pas de produits. Il a très vite compris cela. La grande différence entre autrefois et aujourd’hui, c’est que, quand vous et moi étions jeunes et que nous produisions quelque chose, ce quelque chose était principalement destiné à un marché national. Et cela pouvait s’expliquer. La distribution internationale était dans les mains des États-Unis, de l’Angleterre et de certains marchés européens. C’était chasse gardée. Nous avons donc protégé nos réseaux de distribution d’ici par la règlementation : le CRTC, les règlements relatifs à la radiodiffusion, etc. Tout était tourné vers la protection nationale, la protection, la protection.

Internet a changé tout cela. Le jeune producteur d’aujourd’hui, je parle de ceux qui sont dans la vingtaine, la trentaine, comprend tout à fait qu’à la minute même où il produit quelque chose et qu’il le lance en ligne, le monde devient son marché. Mais ce que nous, en tant que pays, ne faisons pas, c’est que nous n’investissons pas dans ces opportunités. Je ne sais pas si tout cela est du domaine des rêves pour tous ces jeunes producteurs de contenu. Il est fort possible qu’ils soient plus tournés vers les affaires que les producteurs d’il y a 30 ans, vous et moi aurions eu alors deux points de vue très différents sur la question. Il y avait les producteurs qui avaient des idées originales, distinctes et ceux qui comprenaient comment fonctionnait le jeu économique qui consiste à obtenir beaucoup d’argent de la part des sources publiques et à l’investir dans le contenu.

Kevin Shea, 2me partie: Des nouvelles technologies, la réglementation et l'industrie des médias