Douglas Barrett – 2ème partie

Interviewed by Fil Fraser at Banff World Media Festival on Juin, 2011

Barrett. Un peu plus tôt, vous m’avez demandé de me rappeler les débuts de l’élaboration des politiques. Il est intéressant de savoir que, lorsque Téléfilm Canada, qui s’appelait alors Société de développement de l’industrie cinématographique canadienne, a été fondé, il n’avait pas de mandat en télévision. C’était un organisme entièrement conçu pour promouvoir la production cinématographique au Canada. Il ne s’agissait pas de subventions, il s’agissait du mécanisme d’action sur l’offre en ce sens qu’il offrait de l’argent et que personne, en vérité, n’attendait grand-chose du marché. Si on allait avoir des longs métrages, on allait devoir subventionner des gens pour les tourner. L’organisme, lui, se démarquait parce que le cinéma, contrairement à la télévision, ne peut pas être régi par une seule institution aux objectifs nationaux.

 Il n’y avait rien pour soutenir la production télévisée au début des années 1980, jusqu’au moment où Francis Fox a lancé le Fonds de développement d’émissions de télévision canadiennes. L’argent de ce fonds était géré par Téléfilm, en vertu d’un contrat. Le gouvernement n’a pas changé la législation, il a tout simplement octroyé un contrat à Téléfilm. Cela, c’était le mécanisme d’action sur l’offre pour la télévision et bien sûr, il y avait le mécanisme d’action sur la demande, représenté par la règlementation des radiodiffuseurs par le CRTC. Peu à peu, le CRTC est devenu plus agressif et a commencé à dire aux radiodiffuseurs privés : « Bon, maintenant vous détenez suffisamment de pouvoir économique, vous pouvez commencer à faire de meilleures et de plus importantes contributions au système. » Les radiodiffuseurs ont répondu : « Très bien, nous fournirons la programmation. »

 Cependant, la programmation qu’ils ont proposée était très peu coûteuse, ils n’avaient tout simplement pas les moyens de bien raconter une bonne histoire. Les Canadiens ont toujours eu accès à ce qu’il y avait de meilleur dans le monde; ils savaient donc faire la distinction entre ce qui était bon et ce qui était mauvais. Ils avaient des attentes d’ordre visuel. Par conséquent, quand ils regardaient une émission, ils savaient quand elle avait été sous-produite ou mal produite ou encore produite à peu de frais.

Les radiodiffuseurs ont alors affirmé (et selon moi, ils l’ont fait raisonnablement) qu’ils ne pouvaient tout simplement pas soutenir un déferlement de dramatiques à coût élevé. Cela a véritablement créé une spirale : d’un côté, les organismes de réglementation disaient que les radiodiffuseurs devaient fournir un certain volume de programmation et y consacrer des ressources, et, plus, toujours plus, ils ne cessaient de poser encore plus de conditions au fil du temps; de l’autre côté, le gouvernement qui ne cessait de renforcer, encore et encore plus, son engagement à appuyer l’industrie. Cette situation était problématique. Donc, la première partie du développement a eu lieu en 1982, mais la deuxième a été marquée par les débuts du Fonds canadien de télévision. Ce fonds a eu de remarquables répercussions sur le volume d’une programmation de très haute qualité suivie par les Canadiens, mais aussi sur l’ampleur et l’étendue d’une industrie de production indépendante.

Fraser. Comment est-ce que tout cela est affecté par Netflix, par le monde d’Internet avec lequel on peut regarder presque n’importe quoi sur des appareils mobiles?  

B. Vous savez, Fil, arrivé à un certain âge, on peut se permettre de dire : « Ne nous concentrons pas sur ce qui est en train de changer, mais concentrons-nous plutôt sur ce qui est stable. » Ce qui ne change pas, c’est la nécessité de posséder une programmation de haute qualité, attrayante, stimulante, accessible à tous les Canadiens, une programmation qui reflète qui nous sommes et qui reflète la réalité canadienne au fil des ans. Ce moteur-là doit continuer à rouler et je ne vois pas pourquoi il ne pourrait pas continuer à rouler. Donc, si on ne se concentre que sur cet aspect, on s’aperçoit qu’un mélange de ce qui s’appelle maintenant le FMC (Fonds des médias du Canada) et le système de réglementation produit environ 2500 heures de programmation par année qui ciblent les heures de grande écoute dans tout le système canadien sous licence. Je pense que ce point constitue un pilier important que l’on ne devrait pas perdre de vue. Pour ce qui est de Netflix, il est indéniable que tout ce regroupement de programmes vidéos que l’on peut visionner en ligne ne fait que s’amplifier, mais Netflix ne représente, en fin de compte, qu’un tout petit pourcentage de la quantité totale de programmes vidéos que l’on peut visionner. La dimension Netflix n’a probablement pas encore atteint un point de classement. Quand les gens lisent que 13,5 pour cent d’heures de grande écoute se passent à télécharger des vidéos, ils s’imaginent que cela signifie que tout le monde s’est arrêté de regarder la télévision et qu’il s’est mis à regarder Netflix. Ce n’est pas vrai.

 Ce qu’accomplit la télévision, c’est qu’elle alimente la consommation vidéo en ligne. On s’assoit et on regarde la télévision, l’ordinateur sur les genoux, il y a donc beaucoup d’autres activités qui accompagnent ce visionnement de la télévision. Par exemple, ma fille de 15 ans peut faire trois choses en même temps. On avait l’habitude de dire que les enfants ne pouvaient pas réaliser une seule et unique chose, qu’ils devaient apprendre à en faire plus. Aujourd’hui, ils peuvent faire trois choses en même temps. En réalité, ils devraient pouvoir accomplir cinq choses. J’étais estomaqué la semaine dernière : son téléphone cellulaire n’a pas fonctionné pendant une ou deux heures et j’ai cru qu’elle allait s’effondrer nerveusement. Elle était plus que perdue, elle était hystérique. L’objectif national le plus important était de rétablir le service à cette enfant.

 F. Cela se rattache à la démocratisation des moyens de production, ce qui signifie que beaucoup plus de gens ont accès aux outils qui permettent de faire des émissions de haute qualité. Auparavant, il fallait des centaines de milliers de dollars en équipement; aujourd’hui, avec une toute petite fraction de cette somme, on peut diffuser des programmes de qualité à l’aide d’un ordinateur, deux logiciels simples et une caméra que l’on peut se procurer pour environ 1000 $.

 B.  Et puis? J’ai quelque 100 000 pi. carrés d’espace d’entrepôt et presque 100 camions gros porteurs qui transportent tous les jours ces outils. Et il n’y a pas de baisse de la demande pour mon équipement. Alors, oui, il y a une démocratisation de la production, mais c’est un peu comme regarder une montagne, c’est la base qui s’élargit, le sommet de la montagne, lui, ne change pas. Et l’une des choses qui est vraiment importante, c’est que les très bons programmes sont produits et réalisés par des gens qui ont du métier, il faut des années et des années pour acquérir ce métier.

 Il est concrètement possible de produire de meilleurs programmes qui ne coûtent pas cher bien plus facilement qu’autrefois. Mais produire quelque chose qui va river les gens à leur écran aux heures de grande écoute et qui va les pousser à s’assoir et à s’investir devant un écran, c’est tout aussi compliqué, tout aussi exigeant du point de vue de la création et du talent, tout aussi cher et tout aussi exigeant en termes d’équipement que ça a toujours été. En fait, quand les gens viennent me voir pour louer une caméra et tout ce qui va avec, ils ne me disent pas : « Pouvons-nous louer  celle qui est là-bas et qui est grande comme ça? » Non, ils me disent : « Pouvons-nous louer la caméra qui est là-bas et qui s’accompagne de 95 accessoires avec lesquels jouer? » Donc, beaucoup de choses changent, mais certaines choses, assez bizarrement, ne changent pas. Mes commentaires visent le monde de la télévision de haute gamme. Il faut des professionnels pour faire ce genre de télévision.

Douglas Barrett – 3ème partie