Wings of Chance, Commentaire

Si Tony Mokri n’avait pas travaillé dans une voiture-lit du CFCP dans les années 1950 et s’il n’avait pas trouvé un livre que le premier ministre d’alors, John Diefenbaker, avait oublié, Wings of Chance n’aurait jamais vu le jour. Le livre renfermait une nouvelle de John Patrick Gillese, intitulée "Kirby’s Gander", qui, selon Mokri, pouvait faire l’objet d’un bon scénario.

L’histoire originale, la relation entre un pilote de brousse forcé d’atterrir et une bernache du Canada ainsi que le récit de leur vie sur les bords d’un lac, en pleine nature, dans le Nord, un été, s’inspire directement des histoires d’animaux propres à la tradition canadienne, un genre fort populaire, mis à la mode à la fin des années 1800 par des écrivains comme Charles G. D. Roberts et Ernest Thompson Seton, et très prisé aussi bien au Canada qu’aux États-Unis. Ce type de récit rend hommage à la nature à travers la vie ou la "biographie" d’animaux individuels.

Avant Seton et Roberts, la plupart des récits portant sur la nature soulignaient les dangers ou les menaces qui pouvaient survenir dans la nature sauvage canadienne. Cette vision surannée de la nature avait été importée par les pionniers et les explorateurs européens pour qui la forêt représentait généralement une force obscure et menaçante. Il suffit de penser à Mirkwood de J.R.R.Tolkien ou encore à la forêt où Hans et Gretel faillirent être dévorés par une sorcière.

Vers la fin du dix-neuvième siècle au Canada, la plupart des Canadiens s’étaient habitués à la "forêt", à la suite de nombreuses années de recherches scientifiques et cartographiques, et de peuplement. Les gens travaillaient et vivaient dans la nature sauvage canadienne. Ils y parvenaient parce que, en partie du moins, ils avaient appris à connaître et à respecter la nature. Dans les œuvres littéraires de Seton, Roberts et de bien d’autres écrivains, la nature devient un aspect positif du monde des protagonistes, quand elle n’est pas un personnage à part entière.

Un demi-siècle plus tard, dans les années 1950, des nouvelles comme "Kirby’s Gander" et le film qui en fut tiré, Wings of Chance, s’appuient sur des conventions courantes; par exemple, un homme est perdu dans la nature sauvage, mais grâce à ses aptitudes à la survie, il finit par être sauvé par d’autres, à moins qu’il ne s’en sorte tout seul. Une autre de ces conventions était que le sauvetage s’effectuait grâce à une relation personnelle nouée avec un animal. Les publics canadien et américain de l’après-guerre reconnaissaient et comprenaient des récits s’appuyant sur ces conventions.

Ils respectaient également le personnage principal, le pilote de brousse. Tant dans les romans qu’au cinéma, le pilote de brousse était un héros calqué sur les pilotes des beaux jours de l’aviation dans le Nord. Ces hommes courageux, qui risquaient régulièrement leur vie pour sauver celle des autres et ceux à la carrière stellaire parce qu’ils avaient été pilotes de chasse pendant la Première Guerre mondiale, devinrent les symboles légendaires des valeurs de la culture du Nord : courage, constance, intégrité et compétence. Ajoutons à ce grisant mélange, "l’amitié" et le secours de l’emblématique bernache du Canada, et le film était assurément un succès. Et c’est ce qui eut lieu: Universal Pictures qui avait acheté le film au producteur Matanski empocha 9 millions de dollars en le distribuant dans des salles américaines.

L’histoire de Wings of Chance est simple et prévisible. Steve Kirby (James Brown), pilote de brousse établi au parc national Jasper, effectue un vol régulier vers une communauté du Nord. Les habitants de cette localité comptent sur lui pour venir chercher et livrer des marchandises. L’avion aurait dû être piloté par son jeune associé irréfléchi, Johnny Summers (Richard Tretter), mais celui-ci a des démêlés avec la justice. Dans un accès de jalousie à propos d’Arlene Baker (Frances Rafferty), une jeune femme dont les deux pilotes sont amoureux, Johnny a posé illégalement l’avion sur le lac de Jasper Park Lodge, où Arlene travaille.

Un agent de la police montée, en tunique rouge, (Len Crowther), conduit poliment Johnny à la prison, il doit payer une amende et on lui retire son permis de pilote. Johnny ne peut pas voler pendant un mois, ce qui revient à dire que c’est Steve Kirby qui doit maintenant piloter l’avion dont la fuite d’huile n’a pas été réparée. De façon peu surprenante, la fuite devient de plus en plus grave pendant le vol. Kirby dévie de sa trajectoire pour éviter une tempête et s’écrase sur les bords de Moon Lake. Il n’est pas blessé, mais il ne peut pas établir le contact avec quelqu’un pour transmettre ses coordonnées. La mission de sauvetage ne peut pas lui venir en aide.

Pendant toutes ces péripéties, Kirby reste calme. Bien que son associé n’ait pas pris soin de la trousse de survie, il découvre un fusil et trois balles, du fil à collet et une canne à pêche munie d’un leurre. Malgré ce pauvre matériel, il dresse un camp et parvient à subvenir à ses besoins pendant les quelques mois qui suivent grâce à la pêche et aux pièges qu’il pose pour attraper des lièvres. À son grand plaisir, il s’est aperçu très tôt qu’il avait atterri non loin d’un couple reproducteur de bernaches du Canada. Le jars essaie de l’écarter et donc, Kirby va obligeamment s’installer un peu plus loin. Il admire le courage du jars et plus tard, il le sauvera de l’attaque d’un loup. Même si l’aile de l’oiseau est grièvement endommagée, le jars s’obstine à élever sa couvée d’oisons. Kirby s’attache au jars, engageant la conversation avec lui tout en le respectant à titre d’animal sauvage. Peu à peu Kirby conçoit un plan. Il attache une bague de métal autour de la patte d’un oison, il y grave son nom et le lieu où il se trouve, espérant que quelqu’un trouvera l’oiseau au cours de sa migration vers le Sud. Bien sûr, quelqu’un trouve l’oiseau, les autorités sont averties et tout est bien qui finit bien.

Si Wings of Chance présente des vues aériennes touristiques des Rocheuses canadiennes, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une histoire d’animaux, qui fait chaud au cœur et qui est destinée à un public familial. L’intrigue est transparente, les dialogues insipides et l’interprétation médiocre. Bien que le film n’ait coûté que 200 000 $ et qu’il ait été tourné avec une seule caméra, le producteur Matanski avait bon espoir de le vendre à un acheteur américain, en faisant appel au goût des Américains pour la topographie des parcs des montagnes Rocheuses. Le film La rivière sans retour avec Marilyn Monroe et Robert Mitchum venait juste d’être tourné à Banff. De plus, les productions d’Hollywood choisissaient depuis longtemps les parcs nationaux de l’Alberta pour planter leur décor. Matanski prenait donc un risque calculé en produisant le premier long métrage tourné en Alberta.

Le photographe du film et ami de Matanski, Bill Marsden, expliqua que le producteur essaya, avec Wings of Chance et ensuite avec The Naked Flame, d’offrir un terrain de formation aux équipes de tournage canadiennes et d’ouvrir la voie à une industrie cinématographique provinciale. Toutefois, les pertes encourues lors de la production du deuxième film découragèrent Matanski de faire d’autres films.

Evelyn Ellerman