Why Shoot the Teacher? Commentaire
Why Shoot the Teacher? (1977) a été le premier de quatre longs métrages produits par Fil Fraser, qui avaient pour but de raconter des histoires canadiennes de l’Ouest à un public canadien. Ce fut l’un des plus importants succès cinématographiques du Canada, rapportant plus de deux millions de dollars de recettes. Le film fut visionné au Festival de Cannes, remporta un prix Génie dans la catégorie Meilleure adaptation et se vit décerner la Bobine d’or pour avoir enregistré le plus grand nombre d’entrées au box-office canadien.
Adapté par James DeFelice, le scénario est tiré du roman de 1965 de Max Braithwaite qui raconte sa vie d’enseignant en Saskatchewan pendant la Crise. Bien plus que le roman de la maturité, Why Shoot the Teacher est un âpre rappel de la misère économique et spirituelle qui sévit dans les Prairies canadiennes à une époque où le monde entier est plongé dans la Crise. Centré sur les expériences d’un jeune citadin naïf qui accepte le seul poste d’enseignant disponible à une période où les emplois sont rares, le roman raconte l’arrivée de Max dans un petit village agricole isolé où la sécheresse porte le coup fatal à une communauté déjà affaiblie par l’effondrement économique. Il n’y a presque pas de récoltes et il n’a pas plu depuis des années. Quand bien même un fermier aurait des récoltes, il n’y a personne pour les acheter. L’argent est rare, la plupart des fermiers offrent leur labeur pour payer des impôts dont ils ne pourraient pas s’acquitter autrement. Ce sont eux qui construisent les routes, approvisionnent les écoles en bois de chauffage ou offrent le gîte et le couvert à « l’enseignant ».
La Saskatchewan est peuplée d’immigrants qui espéraient trouver une terre propice à un nouveau départ au lendemain de la Première Guerre mondiale, mais les jours grisants de cette époque pionnière des années 1920 se sont évaporés pour faire place à la désillusion et au désespoir. Les communautés agricoles des Prairies se composent de réfugiés venus d’Europe centrale et de l’Est, d’anciens combattants de la Première Guerre mondiale et de migrants venus de l’est du Canada et de l’ouest des États-Unis : un mélange explosif de langues, de religions, de cultures et d’idéologies. La nécessité de travailler ensemble est la seule chose qui permet à ces communautés de continuer à vivre. Le monde où atterrit Max est un monde dur et Max y est lamentablement mal préparé. C’est pourtant ce monde qui fera de lui un homme parce que tout comme ses voisins, Max n’a d’autre choix que de continuer à vivre.
Le film Why Shoot the Teacher? a été tourné, tout en sensibilité, par Silvio Narizzano qui parvient à transposer à l’écran cette histoire véridique et à témoigner de sa profonde compréhension des gens et de l’époque. C’est la région des vastes prairies près de Hanna, en Alberta, qui s’est substituée à la communauté fictive au nom ironique de Willowgreen, Saskatchewan où le train abandonne Max Brown (Bud Cort). Même s’il se sent quelque peu perdu, il déborde de projets juvéniles pour son premier poste d’enseignement. Il découvre cependant très vite que pour la communauté aux prises avec de grosses difficultés, il est davantage un fardeau qu’une bénédiction : les habitants ne savent pas comment ils arriveront à le payer sans compter qu’il faut le nourrir alors qu’il n’y a pas toujours suffisamment d’argent pour nourrir leurs enfants. Peu de temps après son arrivée, Max est légèrement révolté quand il surprend quelques robustes fermières en train de dépecer un bœuf pour le nourrir. Il ne se rend pas compte alors du sacrifice que cela constitue pour ces familles.
Il n’est donc pas surprenant que Max ait l’impression d’avoir atterri sur une terre étrangère. Son école, qui ne compte qu’une seule classe, n’a pas d’eau courante, pas d’électricité et pas de toilettes; il n’y a pas de routes et Max n’a nulle part où aller quand il n’enseigne pas, il n’y a pas de bibliothèque et pas de salle de cinéma. Il doit vivre dans un appartement sans fenêtres, légèrement mieux aménagé qu’un trou creusé dans le sol, sous l’école. Nombre de ses élèves ne parlent pas anglais. Les plus vieux élèves le testent en plaçant des cartouches dans le poêle à bois pour qu’elles chauffent et explosent au beau milieu des leçons; d’autres font basculer les toilettes extérieures pour qu’elles atterrissent sur la porte et pour que Max ne puisse pas en sortir.
Pire encore, personne ne semble accorder d’importance à l’instruction. Max ne comprend pas encore que les aspirations que les parents avaient pour leurs enfants viennent d’être compromises par la Crise. Les aînés des familles restent souvent à la maison pour donner un coup de main aux travaux des champs. Pour la plupart des enfants, finir sa scolarité relève d’un rêve impossible ou ne signifie plus grand-chose. Les élèves passent leur temps de récréation et de dîner à attraper des spermophiles dont ils peuvent vendre la queue pour un sou, la seule façon pour eux de gagner un peu d’argent.
La seule personne avec qui Max se sent des affinités est une épouse de guerre britannique, Alice Field (Samantha Eggar). Leur attirance l’un pour l’autre nait du désespoir qu’ils ressentent à se retrouver coincés à Willowgreen. Tous deux aiment la musique et la littérature. Ils parlent et rient dans la petite école, tels deux survivants sur un radeau culturel. Alice se sent prise au piège dans son mariage à un ancien combattant qui parle peu. Comme de nombreuses femmes qui lui ressemblent à cette époque, Alice est assez désespérée pour quitter son foyer, ses enfants, son mari; sa vie est morne et se résume à une suite incessante de corvées. Lorsque le mari d’Alice, Bert (Michael J. Reynolds) arrive chez Max pour ramener sa femme à la maison, Max se rend compte une fois de plus qu’il s’est trompé sur la vie à Willowgreen. Bert s’exprime peut-être mal, mais il n’est pas insensible.
Les courants politiques de l’époque se fondent dans l’intrigue, tout comme ils se sont fondus dans la Saskatchewan des années 1930. La colère et les frustrations des fermiers pendant la Crise ont abouti à de nombreuses initiatives d’ordre social, qui avaient pour but d’alléger le fardeau des familles qui travaillaient fort. La Fédération du commonwealth coopératif (CCF), le Nouveau Parti démocratique d’aujourd’hui, a ouvert la voie à ce qui allait finir par devenir les soins de santé universels et le régime de pensions du Canada. C’est dans ce contexte politique que le personnage de Harris Montgomery (Gary Reineke) évolue et tente de recruter Max à sa cause.
Malgré les graves enjeux politiques et sociaux qui viennent alimenter l’intrigue, Why Shoot the Teacher est un film drôle et sensible. Quiconque l’a vu ne pourra jamais oublier le plan aérien où Bud Cord se promenant dans un paysage hivernal désert chante « Oh, sweet mystery of life, at last I’ve found you » pour s’efforcer de rester sain d’esprit jusqu’à ce que le mois de juin le ramène à la gare d’où il s’embarquera pour la ville et la civilisation. Et quand viendra le temps de choisir, Max décidera de retourner à Willowgreen, non parce qu’il y est obligé, mais parce qu’on le connait là-bas et que désormais, lui aussi connait les habitants de Willowgreen.
Evelyn Ellerman