A War Story, Commentaire

Que se passe-t-il lorsque deux cultures se heurtent dans un pays déjà déchiré par des décennies de guerre et de perturbation?  La scénariste et metteur en scène, Nelofer Pazira, pose cette question dans son premier long métrage, Act of Dishonour, de 2010. Basé sur un incident qui eut lieu lors du tournage de son documentaire, Return to Kandahar (2003), le film examine le monde fragile d’une jeune fille de quinze ans qui habite le nord de l’Afghanistan.

Mena (jouée par Marina Golbahari) est fiancée à Rahmat (Masood Serwary), qui est chauffeur du bus local qui lie les villages de la région. Les deux familles habitent tout près l’une de l’autre, mais les jeunes ne se communiquent qu’à travers une trouée dans l’enceinte qui entoure la maison de Mena.  Rahmat laisse de petits cadeaux pour Mena sur un rebord, objets qu’elle retrouve plus tard et chérit. Elle dispose tendrement la robe de mariée de sa mère, en rêvant d’une burqa pour compléter la tenue. Chez elle, la burqa ne se porte que le jour du mariage, pour accentuer le mystère qui accompagne la première rencontre entre mari et femme. Les deux familles attendent le mariage avec anticipation: la mère de Rahmat a confectionné des vêtements exquis pour sa future belle-fille; Khak (Abdul Ghafar Qoutbyar), le père de Mena, regarde sa fille unique avec tendresse.

Mais la douleur et la souffrance menacent la vie de tous les villageois. Khak gagne sa vie en récupérant de la ferraille de véhicules militaires abandonnés. Un jour, la découverte de pièces de monnaie l’amène aux restes d’un squelette humain. Khak enterre les ossements du soldat tombé avec révérence. Rahmat, par contre, est hanté par un événement de son enfance – tout jeune, il fut forcé par les hommes de son village d’utiliser le fusil de son père pour venger la mort de celui-ci en tirant sur le meurtrier. Cette scène, qui introduit le film, établit l’importance du crime d’honneur dans la culture du village. Mais Rahmat n’est pas un homme violent, et les souvenirs de ce jour fatidique le poursuivent.

Malgré les années de guerre, la vie traditionnelle du village continue, presque inaltérée. Les problèmes sont toujours résolus par les aînés. Certains habitants avaient fuit le village pendant les combats avec les Russes et le Taliban, pour se réfugier dans un camp administré par l’ONU. Ces réfugiés commencent à regagner le village, pour découvrir que leur domicile n’existe plus, ou qu’il est maintenant occupé par autrui. Ce sont les aînés qui décident si ces domiciles devraient être rendus (et la réponse est toujours non). Les hommes continuent à gouverner en tant que patriarches, et les femmes vivent encore séquestrées derrière des murs de pierre et de boue.

Le contraste entre le foyer domestique et le monde extérieur est souligné de façon visuelle par la palette de couleurs représentée dans le film. Mena porte du rouge et du violet, et la robe de mariée de sa mère décédée est brodée d’or. Les femmes qui regardent par l’ouverture de leur enceinte portent un fichu aux couleurs vives, comme si la vraie vie de la communauté se trouvait cachée et emmurée. La différence d’avec les vêtements ternes portés par les hommes, et le paysage brun gris, est frappante. Seul Rahmat, parmi tous les hommes, porte un chapeau rouge et une belle chemise blanche brodés. Son bus est peinturé en blanc et garni de bibelots tape-à-l’œil. Soit que, en tant que fiancé de Mena, il représente l’espoir; soit que ce soit le seul homme au village à ne pas garder les troupeaux ni à faire du travail manuel; ou soit parce qu’il représente le seul, à part les réfugiés, à avoir du contact avec le monde extérieur, ses vêtements le distinguent comme personnage distinctif à suivre. Et en fait, à la fin du film, il fait son choix basé sur ses sentiments, et non pas uniquement sur la tradition.

Les aperçus de Pazira sur cette culture et sur son propre rapport complexe avec ces traditions font partie du film. Elle s’insère dans l’intrigue dans le rôle d’interprète afghane pour un groupe de cinéastes canadiens.  Pourtant, Act of Dishonour n’est pas un cas de méta-cinéma, du genre (rebattu) à représenter son propre tournage. Il s’agit plutôt d’une métaphore: la tentative échouée des Canadiens de tourner un film sur la vie des femmes dans un village afghan rappelle et symbolise tant d’autres tentatives échouées d’apporter de l’aide humanitaire et de l’instruction à des régions lointaines. Des étrangers bien intentionnés et idéalistes descendent sur le village, forts d’un projet grandiose. On apporte de la technologie, on s’accompagne d’interprètes. On prodigue des cadeaux et des promesses pour encourager les villageois à coopérer avec ce beau projet. Au sein de cette intrigue secondaire, Pazira se concentre moins sur le réalisateur du film (joué par Ben Campbell), un étranger qui manque de tact, et plutôt sur le rôle joué par l’interprète.

En tant que médiatrice culturelle, l’interprète, Mejgan, est censée assumer la responsabilité non seulement d’assurer la communication entre les deux groupes, mais aussi de protéger les intérêts des gens du village et de leur culture. Son comportement à cet égard représente un échec. Agacée par son employeur, le réalisateur, et par l’attitude patriarcale des hommes du village, qui trouvent son rôle non-traditionnel honteux, elle transgresse les limites du comportement professionnel et éthique pour démontrer son statut de femme moderne, libre d’agir comme elle veut. Ainsi, elle oblige une jeune fille à commettre un acte qui lui risque la mort, puis la laisse dépourvue de tout ce qui lui était important.

Dans les mains de Nelofer Pazira, ce conte moral sur l’exercice du pouvoir est à la fois très particulier – un portrait d’individus spécifiques pris dans une situation localisée – et représentatif de maintes situations pareilles qui se sont produites dans maints villages au fil du temps. La cinématographie de Paul Sarossy renforce ce motif de l’atemporalité: le paysage qui entoure la petite enclave de huttes de terre est d’une beauté, d’une grandeur et d’une désolation presque mythiques. Les gens qui traversent ses vastes étendues ont l’air infiniment petit et vulnérable. Les scènes finales restent ouvertes, laissant le spectateur à se demander si de telles histoires ne sont pas destinées à se répéter à jamais.

Evelyn Ellerman