Twilight of the Ice Nymphs, Commentaire
Une adaptation libre du roman Pan (1894) par le Norvégien Knut Hamsun, Twilight of the Ice Nymphs (1997) est un film mélodramatique, surréaliste et hautement stylisé de la part du réalisateur de Winnipeg, Guy Maddin. L’intérêt de ce réalisateur pour le style visuel de l’époque des films muets se manifeste dans tous ses ouvrages, dont par exemple Tales from the Gimli Hospital (1988) qui utilise des séquences enformat 16 mm, tournées en noir et blanc et à l’effet granuleux, et The Saddest Music in All the World (2003), un film expérimental tourné en couleur et en noir et blanc.
L’intrigue de Twilight of the Ice Nymphs se déroule dans un paysage onirique, à couleurs pastelles, sur l’île de la Mandragore, un lieu dans lequel le soleil ne se couche jamais. La racine de la mandragore est douée de propriétés hallucinogènes et aphrodisiaques, dit-on. L’île du même nom représente un lieu éthéré qui incarne le désir éternellement inassouvi – les personnages de Maddin sont constamment à la recherche de l’idéal inaccessible. Comme les personnages du Andromaque de Racine, tout le monde est condamné à être amoureux de quelqu’un qui aime un autre.
Le Dr Solti (joué par R.H. Thomson) est amoureux de la statue d’une déesse, quoique celle-ci l’a déjà refusé en lui écrasant la jambe. Solti érige la statue de Vénus à nouveau, convaincu qu’il a mérité ce châtiment et qu’il n’est pas encore digne de l’amour d’une déesse. Zephyr (Alice Krige) erre sur l’île, apparemment à la recherche de son mari, un marin qui serait disparu en mer – en fait, il est mort à ses mains. Mais Zephyr cherche toujours à se libérer de ce mari: elle fait appel à la statue, car elle désire maintenant Peter (Nigel Whitney), qui vient de passer quatre ans en prison pour des raisons politiques. Déséspérée, Zephyr annonce au docteur Solti qu’elle veut absolument regagner sa liberté.
Peter, pour sa part, vient d’arriver sur l’île en bateau. Pendant le voyage, Peter a fait la connaissance de Juliana (Pascale Bussières) dont il est tombé amoureux. Juliana fait le voyage pour aller à la rencontre du Dr Solti, son amant présumé. Elle se sent attirée par Peter, car elle cherche toujours la nouveauté et la surprise; elle est apparemment incapable de quitter le Dr Solti, dont elle n’est plus amoureuse, mais qui réussit à la divertir et à la fasciner. La sœur de Peter, Amelia (Shelley Duvall) a dirigé la ferme familiale, un élevage d’autruches, pendant toute son absence, aidée par un homme à tout faire, Cain Ball (Frank Gorshin). Amelia est amoureuse du Dr Solti, qui ne lui connaît guère le nom. Cain, par contre, ne convoite que la ferme, dont il désire devenir le propriétaire. Ayant présenté ce réseau d’amours et de désirs dysfonctionnels, Maddin évite une intrigue traditionnelle, préférant laisser ce mélange de désirs frustrés, de scandales et de demi-vérités travailler dans l’esprit et le coeur des protagonistes.
L’atmosphère de l’île, étrange, inquiétante et trempée de couleurs fantaisistes, ne permet pas d’intrusion de la réalité du monde extérieur. Mandragore représente une sorte d’état sensuel et atemporel où les jours et les nuits se fondent ensemble. Le sort de ces insulaires est sous le contrôle du docteur Solti qui leur exerce une influence néfaste sur l’esprit. La seule façon de les influencer ou de les toucher semble être par l’intermédiaire de la douleur physique et de la violence. Peter se tire une balle dans le pied; il se peut qu’il l’ait fait exprès, dit-il. Amelia enfonce un clou dans la tête de Cain, avant de mettre le feu à sa cabane. Celui-ci s’en sort vivant, pour éparpiller chez elle des bris de verre, pour qu’elle se coupe les pieds. Zephyr embrasse la statue de Vénus, ce qui provoque un saignement des lèvres. Chaque expérience douloureuse provoque une réévaluation chez le personnage blessé. Peter se rend compte enfin que Juliana ne veut pas de lui. Amelia arrive à comprendre que l’intense désir de Cain Ball d’hériter la ferme l’a provoqué à lui faire du mal, et elle lui cède le titre de propriété; Cain meurt peu après. Amelia accepte aussi que le docteur Solti ne l’aimera jamais, et elle se libère des liens de l’amour non-partagé. La morsure de la déesse persuade Zephyr qu’elle sera toujours prisonnière de son passé, et elle se laisse écraser par la statue.
Malgré tous les tourments et la violence, l’île de la Mandragore reste inchangée. Le seul personnage qui semble être en désaccord avec ses lois est Peter. Le spectateur n’apprend jamais quel crime aurait pu justifier son emprisonnement. Mais il est revenu à l’île en tant qu’étranger. C’est comme s’il était le seul personnage en noir et blanc parmi toutes ces couleurs. A un moment donné, il accuse Solti et Juliana d’être des individus peu naturels. Il fait appel aux arbres d’étouffer tout ce qui est faux sur l’île: un gros vent se lève, et les branches s’agitent violemment, mais sans résultat. Le docteur Solti fait un petit sourire satisfait. Rien ne change sur l’île de la Mandragore parce que le changement y est impossible. L’île est à la fois la toile de fond et la cause du malaise des personnages. La conclusion du film est d’autant plus surprenante, car ce sont Solti et Juliana qui quittent l’île peu après. Amelia et Peter se tiennent sur la plage en regardant partir leur bateau. Puis Amelia tourne à son frère pour lui dire: "Embrasse-moi".
Evelyn Ellerman