Marie-Anne, Commentaire
Sorti sur les écrans en 1978, Marie-Anne est le deuxième film produit par Fil Fraser, dont tous les films sont tournés en Alberta et racontent les histoires de l’Ouest. Marie-Anne réunit des acteurs qui sont tous au début de leur carrière cinématographique : Tantoo [Martin] Cardinal (Tantoo), Gordon Tootoosis (chef Many Horses) et Andrée Pelletier (Marie-Anne). Ainsi que l’a déclaré Fil Fraser, "Nous étions tous en train d’apprendre à l’époque".
Le film aborde un personnage historique, Marie-Anne Gaboury, la première femme blanche à s’installer dans ce qui forme aujourd’hui les provinces des Prairies. Il n’est pas facile de trouver des histoires de femmes, blanches ou amérindiennes, remontant à l’époque du commerce des fourrures ou des colonies de peuplement dans l’Ouest canadien. Ces années-là furent des années intrépides qui donnèrent lieu à des récits héroïques d’explorations, de conflits, de négociations et d’expansion, dominés par les aventures d’hommes. En conséquence, nous savons peu de choses sur les femmes au début de l’exploration de l’Ouest.
En 1806, Marie-Anne Gaboury se lance dans l’impensable : elle quitte la sécurité et le confort relatif de la maison de ses parents à Québec pour s’embarquer dans un voyage qui va durer deux ans et qui va la conduire à des milliers de kilomètres de chez elle, dans les milieux sauvages de l’Ouest. Elle voyage avec son mari Jean-Baptiste Lagimodière, elle vit pendant quelques années dans les camps des Métis qui chassent le bison et finit par s’installer au confluent de la rivière Rouge. Au cours de sa vie, Gaboury vivra avec les Indiens et les Métis, sera faite prisonnière par une tribu ennemie, échappera de peu à la bataille des Sept-Chênes, aura sept enfants dont l’un, une fille, sera la mère de Louis Riel et elle vivra jusqu’à l’âge de 95 ans. On la considère comme la "grand-mère" de la colonie de la rivière Rouge au Manitoba, elle a fait l’objet de quelques biographies, d’au moins un roman qui s’inspire de sa vie [Isobel Gunn d’Audrey Thomas]; on a donné son nom à des écoles, des rues et des édifices. Marie-Anne Gaboury mérite qu’on lui consacre une épopée, il ne s’agit hélas pas de Marie-Anne.
L’intrigue du film, qui se déroule au vieux Fort Edmonton, est simple. Jean-Baptise Lagimodière (John Juliani), voyageur, doit abandonner sa vie trépidante sur les berges de la rivière Saskatchewan Nord et doit quitter sa conjointe amérindienne (Tantoo [Martin] Cardinal) pour retourner à Québec. Son père vient de mourir et Jean-Baptiste doit régler ses affaires. Il quitte précipitamment Tantoo qui est manifestement très amoureuse de lui. De retour chez lui, Jean-Baptiste essaie de faire plaisir à tout le monde. Sans une pensée pour Tantoo, il épouse la jeune servante du curé, Marie-Anne (Andrée Pelletier) et essaie de s’occuper de la ferme familiale. Mais il s’ennuie des clairs ciels bleus et des vastes prairies de l’Ouest.
Comprenant bien que son mari est malheureux, Marie-Anne l’encourage à reprendre le commerce des fourrures, elle le suivra. Après de faibles protestations: la vie est trop rude, seules les Amérindiennes et les Métisses peuvent la supporter, Jean-Baptiste cède. Leur voyage s’arrête au Fort Edmonton: Marie-Anne est debout sur le quai, son bébé dans les bras. De la colline où elle est tapie, Tantoo est sous le choc, elle voit la jeune famille et elle se rend compte que, comme de nombreuses Amérindiennes avant elle, elle a été abandonnée pour une épouse blanche.
Le reste de l’intrigue traite de deux conflits. Le premier concerne le responsable du fort de la CBH, il ne veut pas d’une femme blanche dans le fort. Selon lui, les femmes vont de pair avec le peuplement, et le peuplement sonne le glas du commerce des fourrures. Il fait clairement comprendre à Marie-Anne que, pour que son mari conserve son travail, elle doit retourner à Québec. Elle accepte, tristement. Mais avant qu’elle ne quitte le fort, Tantoo l’attaque avec un poignard dans la nuit. Marie-Anne parvient à avoir le dessus sur Tantoo, mais comprend peu à peu la situation où elles sont plongées toutes les deux. Ce qui rend les choses un peu plus difficiles, c’est que Tantoo a aussi un jeune enfant. La véritable intrigue qui relie ces deux conflits, c’est le désir du chef cri Many Horses (Gordon Tootoosis) d’acheter Marie-Anne en échange d’autant de chevaux qu’on le lui en demandera. Le responsable du fort, Bird, refuse et verrouille le fort, en prévision d’une attaque. Marie-Anne redresse la situation pour tout le monde quand elle se rend courageusement à cheval au village indien pour expliquer au chef pourquoi elle ne peut pas être vendue : son dieu exige qu’elle demeure mariée à un seul homme pour le restant de ses jours. Le chef sauve la face en l’adoptant et en faisant d’elle l’une de ses filles. Tantoo, furieuse, se rend compte qu’elle ne peut rien faire pour que Jean-Baptiste lui revienne. Et le chef du fort vient de se faire jouer un tour: Indienne désormais puisque fille du chef Many Horses, Marie-Anne ne peut pas être renvoyée à Québec.
Le film Marie-Anne qui a coûté moins d’un million de dollars et qui a été tourné en quatre semaines aurait pu bénéficier d’une réécriture du scénario qui, à l’écran, semble éteint. Tootoosis, [Martin] Cardinal et Juliani font ce qu’ils peuvent avec les moyens qu’on leur a donnés, mais en raison du scénario, ils sont rigides et sans voix la plupart du temps, dépourvus d’occasions de creuser les conflits qui animent le personnage qu’ils incarnent. Le personnage de Tantoo, par exemple, aurait pu être construit en contraste avec celui de Marie-Anne. Dans la réalité, la conjointe amérindienne de Lagimodière avait eu plusieurs enfants avec Jean-Baptiste, avant qu’il n’épouse Marie-Anne à Québec et on dit qu’elle aurait tenté d’empoisonner sa rivale blanche. Selon les événements historiques, Marie-Anne Gaboury et la première épouse de Jean-Baptiste Lagimodière étaient parvenues à se réconcilier. Il aurait été intéressant d’approfondir ces tensions dans le film. Le thème secondaire, la fin du commerce des fourrures et le début du peuplement, présenté abruptement par le chef du fort quand il rencontre Marie-Anne se perd, il n’est pas présagé dans les scènes précédentes et il n’est pas non plus développé dans les scènes suivantes. Il semble que ce thème soit la préoccupation du chef seulement et par conséquent, le film ne lui accorde guère d’importance.
Malgré tous ses défauts, Marie-Anne marque un tournant dans la cinématographie albertaine puisque c’est la première fois que l’on essaie de raconter une histoire locale, dans son décor naturel, sans avoir recours aux conventions et aux stéréotypes de Hollywood. Le film ne parvient toutefois pas à trouver le juste équilibre entre histoire et fiction. Tootoosis fait cependant remarquer que Marie-Anne traduit fidèlement la langue, la musique, les costumes et les coutumes des Cris, la première fois que cela est fidèlement rendu dans un long métrage.
Marie-Anne a été mis en nomination dans 13 catégories des Génies, notamment dans la catégorie Meilleur acteur et Meilleur film, mais n’a remporté aucun prix.
Evelyn Ellerman