Cairo Time, Commentaire
Cairo Time (2009) est une exploration de l’auteur-réalisateur Ruba Nadda d’un tournant dans la vie d’une femme d’un «certain âge». Juliette Grant (Patricia Clarkson) est rédactrice d’un magazine populaire pour femmes, épouse d’un fonctionnaire des Nations Unies et mère de deux enfants qui sont devenus adultes et n’ont plus besoin d’elle. Elle arrive au Caire seulement pour trouver que son mari ne peut pas la rencontrer. Il doit s’occuper d’une altercation politique à Gaza. A sa place, il a envoyé son ancien employé et ami Tareq (Alexander Siddig) pour la conduire aux alentours et lui montrer les environs. Pour Juliette, le Caire est auréolé de possibilités. Elle a franchi le seuil familial pour quelques jours. Elle s’est évadée de son travail et de sa propre culture. En fait, elle est «in limbo». Dans cette situation n’importe quoi peut arriver.
Ce qui arrive à Juliette c’est qu’elle rarement eu l’occasion de se trouver elle-même à nouveau. De tels moments se produisent trop rarement dans la vie d’une personne. L’auteur réalisateur Rubba Nadda et le directeur de photographie, Luc Montpellier utilise le Caire comme la zone sécuritaire dorée pour cette exploration de soi. Seule avec Tariq, Juliette se promène dans les rues du Caire, avec des expériences agréables et désagréables. Ils font des tournées en voiture, une croisière sur le Nil, découvrent des fontaines et jardins tranquilles et se promènent dans un marché ouvert. Juliette est captivée par la voix de la chanteuse Umm Kulthum écoutée à la radio de la voiture. D’un autre côté, ils doivent surmonter le bruit et la pollution des rues embouteillées du Caire, la foule des mendiants et la sinistre réalité de la main-d’œuvre des ateliers de misère. À mesure que Juliette observe le Caire, elle commence à l’aimer de plus en plus. Ce n’est plus tant une excursion à travers le Caire qu’une aventure à travers l’idée du Caire entrevu dans la brume d’un quasi-rêve.
La première réalisation de la différence culturelle se produit un jour où elle est seule dans les rues. Elle est nu-tête, ses bras et son décolleté exposés attirent un si grand nombre d’hommes qui la suivent qu’elle est obligée de courir dans un magasin pour leur échapper. Elle appelle Tareq et à partir de ce moment, elle a un guide si elle le souhaite. Il est aimable et timide, mais il est clair qu’il aime cette ville dans laquelle il a décidé de revenir après ses nombreuses années avec les Nations Unies. Juliette s’extasie devant la vie du café-restaurant de Tareq, où elle est la seule femme présente. Au début, on la traite comme une intruse. Cependant, le jour où elle bat Tareq aux échecs, les hommes l’entourent de nouveau, mais cette fois ils rient et applaudissent. Elle est frappée par la générosité d’esprit qu’elle rencontre à cette occasion et d’autres. Peu à peu, Juliette s’adapte elle-même à la vie qu’elle a trouvée au Caire. Elle apprend à fumer un hookah, et commence à se couvrir la tête les jours où elle va se promener dehors.
Cette période de loisirs languissante est compliquée par une attirance grandissante entre Tareq et Juliette. A mesure que les jours passent, ses assurances téléphoniques d’amour et d’attente de son mari semblent moins convaincantes. Aime-t-elle encore son mari? Ou bien est-ce que cette période critique signifie qu’elle se tournera dans la direction de Tareq? Ce n’est pas du tout clair pour Juliette ni pour l’auditoire. Les jeux adroitement discrets de Clarkson et Siddig accentuent les sentiments non avoués de leurs personnages, bien plus efficacement que toute manifestation physique ouverte. Juliette et Tareq sont des personnes mûres et à principes. Chacun comprend ce qui pourrait être perdu par un faux pas.
Deux moments servent à rappeler le danger à Juliette. Elle dîne un jour avec une amie mariée qui a eu une liaison avec un Égyptien. La femme le décrit comme un amoureux, merveilleux mais trop possessif. «Ils sont tous comme ça», dit-elle. Juliette est à un moment de sa vie où elle veut plus de liberté, pas moins. Elle fait exprès d’éviter Tareq pendant quelques jours après cette conversation. Un second événement sert à rappeler à Juliette que, en dehors de la zone de sécurité, se trouve la vie réelle. Elle décide de voyager par autocar pour rendre visite à son mari à Gaza. Près d’elle est assise une jeune fille qui la supplie de prendre une lettre pour son amant quand elle retournera au Caire. La jeune fille a dû quitter l’université parce qu’elle est enceinte; elle veut que son amant le sache. Hors de la ville, ils sont arrêtés par des soldats qui retirent Juliette de l’autocar, en lui disant qu’elle ne peut pas aller à Gaza. Laissée seule dans la poussière près de la route, elle est obligée d’appeler Tareq. Il n’est pas content et la ramène en silence au Caire. Cependant il est d’accord de l’emmener le jour suivant à l’usine de fabrique de tapis où le jeune homme travaille. Là, Juliette est consternée par les conditions de travail des jeunes tisserands. «Et qu’en est-il de l’école?», se plaint-elle à Tareq. Il hausse les épaules et dit qu’elle est comme tous les occidentaux qui veulent sauver le Moyen Orient de lui-même. Il est clair qu’elle ne comprend pas du tout cette nouvelle culture.
Cependant, Juliette ne se comprend pas elle-même. Malgré son attirance envers Tariq, c’est une femme discrète. Au cours de leur dernier après-midi magique passé ensemble, elle prend une décision critique, et, immédiatement, son mari fait apparition. Le charme est rompu. La période de rêve du Caire est terminée. Juliette reprend sa propre vie dans la réalité.
Cairo Time a gagné le Prix 2010 de l’équipe de la Guilde des réalisateurs du Canada et du Meilleur long métrage canadien au Festival international du film de Toronto en 2009. Il a été nommé pour un prix Génie du meilleur accomplissement en création de costume (Brenda Broer) en 2010 et un prix Chlotrudis en 2011 du meilleur acteur (Alexandre Siddig).
Evelyn Ellerman